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La conception bioclimatique comme source d’inspiration : entretien avec Clément Gaillard 1/2

Dans la continuité de notre enquête sur les modes de régulation de la température d’un espace intérieur -notamment sur les lieux de travail-, nous nous sommes entretenus avec Clément Gaillard. Designer et consultant en conception bioclimatique, et auteur de la thèse Moduler le climat, Genèse, développement et significations de la conception bioclimatique en architecture (1947-1986) que nous avons pu découvrir en avant-première, Clément Gaillard a un parcours “pas très académique” selon ses dires, très interdisciplinaire et intéressant selon nous. Nous l’avons interrogé sur les manières moins énergivores de se rafraîchir en intérieur. Voici quelques éléments de réponse.

Au cours de sa formation initiale en Design, réalisée à l’ENS Cachan et en double cursus à Vitry-sur-Seine en DSAA Alternatives Urbaines, Clément Gaillard fut sensibilisé à l’écologie ou à la notion d’anthropocène, notamment lors d’un projet à la ZAD de Notre Dame des Landes. Après l’agrégation en Design à l’ENS puis deux années de philosophie, le manque de connaissances ou de culture technique, ressenti de longue date, L’a incité à entamer un doctorat en urbanisme. La découverte de l’architecture bioclimatique à l’occasion de stages, d’expériences et de rencontres, l’a convaincu de rédiger une thèse sur ce sujet.

Pourrais-tu expliquer ce qu’est la conception bioclimatique ?

La conception bioclimatique consiste à concevoir avec ou à partir du climat. Cela signifie partir de l’étude du climat local existant, en considérant l’ensoleillement, la direction des vents, l’amplitude des températures, etc. pour concevoir un bâtiment. Dit ainsi, cela paraît relativement simple, mais en fonction des climats la conception ne sera pas du tout la même.

Tout d’abord, il y a les grandes catégories de climats à prendre en considération telles que les climats tropicaux ou encore le climat tempéré, qui est le climat dans lequel nous nous trouvons mais qui possède de nombreuses nuances. Au sein de ces grandes catégories, les besoins en chauffage ne seront notamment pas les mêmes et la conception du bâtiment différera alors. Par exemple, les bâtiments en climat tempéré sont caractérisés par des besoins de chauffage au cours d’une bonne partie de l’année, tout en étant aussi confrontés à des besoins croissants en rafraîchissement. Ces besoins de rafraîchissement tendent à s’accentuer au fur et à mesure des années avec le réchauffement climatique. Au sein du climat tempéré, l’été risque ainsi de s’allonger tandis que l’hiver tend à se contracter.

Il y a beaucoup de zones du monde qui ne soulèvent pas les mêmes problèmes pour la conception bioclimatique, par exemple dans celles où il fait continuellement chaud car l’objectif principal est alors d’obtenir un rafraîchissement continu. Avec le climat tempéré le défi est plus compliqué. Cela requiert de jongler entre ces deux variables, soit de faire en sorte d’admettre de l’ensoleillement en hiver afin de chauffer nos espaces intérieurs, et de le restreindre en été quand les températures augmentent et que l’on risque la surchauffe. Dans ce type de climat, l’étude très précise des phénomènes climatiques est particulièrement intéressante. Puisqu’il est connu que la hauteur du soleil varie en fonction de l’heure de la journée et des saisons, étudier ce phénomène de manière approfondie va permettre des prévisions affinées : exploiter certaines ouvertures uniquement à certaines saisons, prévoir l’inclinaison d’un vitrage à certains moments, etc. Tout l’enjeu du climat tempéré est donc de réussir à jouer avec cette alternance.

Il est aussi primordial de prendre en compte qu’il y a plusieurs échelles de climats. Bien souvent, quand on parle de réchauffement climatique, cela renvoie à l’échelle du climat étudiée par le GIEC, soit à ce qu’on pourrait nommer  le « macroclimat » en référence aux travaux du climatologue Rudolf Geiger. Nous habitons pourtant tous, bien davantage, dans ce que l’on appelle des microclimats. Ces climats qui se trouvent modifiés parce qu’à tel endroit, il y a des surfaces ou des éléments qui font que le climat n’est pas le même que celui perçu 100 mètres plus loin. Pour la conception bioclimatique, les caractéristiques d’un microclimat (soient les spécificités de l’état de l’atmosphère à un endroit précis) sont essentielles. C’est un autre niveau de compréhension qui se veut plus qualitatif, mais aussi bien plus délicat à saisir car il y a moins d’outils ou de données concernant de telles mesures.

Pour donner un ordre d’idées, en architecture, les mesures ou données météos avec lesquelles on travaille, sont relativement standardisées, elles s’appuient sur celles des bases de stations météo situées à 200 ou 300 km du bâtiment étudié dans le cas de calculs thermiques réglementaires. Ce qui tend, dans le mauvais sens du terme, à considérablement simplifier les choses. Ces calculs réglementaires ne permettent pas d’aborder le microclimat. 

L’îlot de chaleur urbain démontre très bien cette variation de température existante à un faible écart de distance. Ce phénomène se caractérise par un ressenti de chaleur en milieu urbain, qui s’exprime par une différence réelle de température entre la ville et la campagne environnante. La température moyenne est toujours supérieure de 3 ou 4 °C en ville, avec des écarts maximaux qui peuvent atteindre jusqu’à 10 °C, en particulier au milieu de la nuit. En hiver, en ville, il est de ce fait bien moins nécessaire de chauffer nos intérieurs qu’à la campagne. Par contre, en été, ce phénomène est catastrophique car il aggrave les périodes de fortes chaleurs en milieu urbain.

Y-a-t-il une difficulté supplémentaire à refroidir un bâtiment plutôt qu’à le chauffer ?

Ce ne sont pas du tout les mêmes phénomènes qui entrent en jeu entre rafraîchir et chauffer un espace. Chauffer, cela consiste à dégrader de l’énergie, ce qui est relativement simple à réaliser, alors que refroidir, cela demande de soustraire de l’énergie en quelque sorte. C’est donc nettement plus compliqué et d’autant plus délicat en conception bioclimatique. Ce qu’il faut prendre en compte avant toute conception, c’est l’amplitude des températures à un endroit donné, c’est-à-dire la différence journalière entre la température maximale et la température minimale. Cette considération peut, par exemple, permettre de savoir si un bâtiment va pouvoir être rafraîchi simplement en étant abondamment ventilé au cours de la nuit ou non, ce qui dans un cas est réalisable en conception bioclimatique et dans l’autre s’annonce plus complexe.

“ Rafraîchir et chauffer, ce ne sont vraiment pas des besoins symétriques ! ”

Pourrais-tu expliquer, voire vulgariser quelques techniques passives pour rafraîchir l’air, telles que le rayonnement par grande longueur d’onde ou bien l’évaporation d’eau ?

Pour expliquer le procédé d’évaporation, on peut prendre un exemple simple comme le sport qui représente une activité où l’on transpire. Fondamentalement, le but de la transpiration c’est de permettre au corps de réguler sa température et plus particulièrement de le rafraîchir. Pour ce faire, le corps va produire de l’eau qui va s’évaporer, à condition que l’air autour soit suffisamment sec. L’eau en changeant d’état, en passant de liquide à vapeur (soit en s’évaporant), va absorber une certaine quantité d’énergie qui n’est autre que de la chaleur. 

Cela explique que faire évaporer de l’eau reste une des techniques les plus simples à mettre en œuvre pour se rafraîchir. C’est un procédé couramment utilisé en zones arides ou sèches qui permet de climatiser naturellement un espace. En termes techniques, on parle de climatisation adiabatique. Par exemple, dans certaines zones du Sahara ou dans d’autres zones très sèches, on peut parfois voir des jarres remplies d’eau (soit un récipient composé de terre poreuse) disposées face au vent devant chaque ouverture. Cela permet de rafraîchir par évaporation en diminuant la température de la pièce de quelques degrés. L’évaporation, c’est donc une première technique passive de rafraîchissement, exploitable en zone sèche.

“ Tout corps rayonne sa chaleur ! En fait, tout corps qui est au-dessus du zéro absolu, qui a une certaine température, va rayonner sa chaleur ; il va l’émettre. Pour mieux comprendre ce phénomène, un exemple simple est celui d’un poêle à bois : à une certaine distance de celui-ci, on ressent sa chaleur. Cela vient du fait que le poêle rayonne sa chaleur, c’est son mode de transmission. ”

Ensuite, concernant le rayonnement de grande longueur d’onde, c’est un phénomène un peu plus délicat à comprendre. Prenons l’exemple d’une voiture givrée au petit matin, pour l’expliquer. Bien souvent, on découvre que seul le toit de la voiture est givré tandis que les côtés restent intacts. Ce type de phénomène demande à réunir deux conditions : que le ciel soit parfaitement dégagé et qu’il y ait relativement peu de vent. Ce qui se passe alors, c’est qu’au cours de la nuit, le toit de la voiture qui est une surface horizontale se met à rayonner de sa chaleur en direction de la voûte céleste, qui a la particularité d’avoir une température beaucoup plus basse que le sol. Au fur et à mesure que le toit métallique de la voiture se refroidi, l’eau contenue dans l’air se met à geler, ce qui produit du givre. C’est l’échange de chaleur par rayonnement entre le toit de la voiture (ainsi que le pare-brise) et la voûte céleste qui fait que, bien souvent, celui-ci se retrouve givré tandis que les côtés sont épargnés.

Contrairement à ce que l’on a tendance à s’imaginer, ce procédé peut être utilisé dans certaines zones arides et peut même, dans des zones désertiques, permettre de produire de la glace malgré le fait que la température ne chute jamais en dessous de 0 °C. Par le simple fait d’exposer une fine couche d’eau froide face au ciel, celle-ci va se refroidir par rayonnement de grande longueur d’onde jusqu’à geler, à condition qu’il y ait très peu de nuages et que l’air soit sec. C’est là, la donnée la plus importante pour le rafraîchissement, il faut qu’il y ait une source plus froide quelque part. Dans le cas exposé, il faut que le ciel soit plus froid que la surface à refroidir. Le rafraîchissement, c’est donc délicat car ça inclut plusieurs phénomènes, dont l’évaporation mais aussi d’autres plus complexes.

“ Réchauffer, c’est par exemple, un être humain comme toi ou moi, en étant assis là, on chauffe déjà l’espace où l’on est. C’est pour cela qu’on s’habille, pour garder la chaleur autour de nous. “

Est-ce que l’usage de l’évaporation ne nécessite pas alors d’avoir recours à beaucoup d’eau ?

En effet, ça peut dans certains cas solliciter beaucoup d’eau. Mais le plus gros problème qui réside dans ce mode de rafraîchissement, c’est avant tout les conditions spécifiques que celui-ci nécessite, en particulier la faible hygrométrie de l’air ambiant. Avec une humidité de l’air trop importante, on ne peut plus évaporer et il est alors impossible de produire ce type de rafraîchissement. Or, c’est exactement ce qui se passe chez nous dans certains épisodes de canicule, on se retrouve parfois avec une humidité de l’air qui avoisine les 50 à 60, voire 70 %. 

La seule solution alors possible dans un climat chaud et humide est de ventiler ; et comment fait-on pour ventiler ? Reprenons le principe de la transpiration, si jamais la couche d’air autour de notre peau est trop saturée en humidité, ça devient impossible de transpirer parce qu’il y a déjà trop d’eau dans l’air. Mais, en ventilant, on renouvelle continuellement la couche d’air au contact de notre peau, transpirer redevient alors possible. La ventilation est donc l’un des procédés qui est le plus utilisé. C’est d’ailleurs ce que l’on fait assez naturellement avec une fenêtre pour essayer de se rafraîchir, en l’ouvrant afin de ventiler. Cependant, cela est possible uniquement s’il y a du vent, si le bâtiment est bien orienté ou s’il y a des ouvrants sur les différentes façades, etc. Ça inclut de nombreuses contraintes architecturales, qui font que cela est souvent délicat à mettre en œuvre. Typiquement, si on veut de la ventilation transversale, c’est-à-dire avoir des ouvrants sur deux façades différentes, cela requiert beaucoup plus de place, il faut faire des appartements moins compacts, etc.

Tu évoques aussi, dans un autre passage de ta thèse, le rôle que peuvent jouer les balcons pour rafraîchir un espace. Peux-tu nous en dire plus sur ce phénomène ?

Un balcon peut être utile s’il permet de détourner un vent qui arrive de manière oblique par rapport à une façade. On peut utiliser les balcons pour diriger le vent vers certaines ouvertures et ventiler dans des conditions plus défavorables qu’avec la ventilation transversale brièvement évoquée précédemment. 

Il existe d’autres manière de rafraîchir. , On peut refroidir de l’air en le faisant passer un certain temps sous terre pour ensuite l’introduire dans la construction. C’est ce que l’on appelle un puits provençal, le principe étant de faire circuler de l’air dans un tuyau enterré. En fait, on se sert du fait que sous terre, seulement à quelques mètres de profondeur, il y a une température relativement constante d’environ 15 °C toute l’année. L’objectif est alors d’extraire cet air frais du sous-sol pour le faire remonter dans un bâtiment. Ce qui n’est pas non plus toujours évident à mettre en pratique.

Pour tous ces principes de rafraîchissement évoqués, on traite de systèmes entièrement passifs, qui ne requiert aucunement d’électricité. Si on veut imaginer des systèmes encore plus complexes tels qu’une alternative à la climatisation conventionnelle, cela devient assez délicat. Il y a d’ailleurs très peu de recherches sur ces sujets, très peu d’alternatives à la climatisation conventionnelle et il y a, dans tous les cas, des limites absolues au-delà desquelles on ne peut plus se servir de systèmes passifs. Notamment des contraintes d’ordre physique : quand il y a trop d’humidité dans l’air ou quand il fait trop chaud, à un certain niveau, on ne peut plus rafraichir. Au-delà de 32, 33 ou 34 °C, ça devient compliqué de proposer une solution passive de rafraîchissement car on approche trop de la température de la peau, qui est de 35 °C.

“ Beaucoup de coûts de climatisation pourraient être réduits si les bâtiments étaient mieux conçus. Notamment, si l’on mettait des protections solaires, c’est-à-dire des éléments qui empêchent le soleil de pénétrer à certains moments de l’année. ”