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The designer’s intent : Victor Papanek, extrait

Victor Papanek (1923-1998) est un designer, professeur et théoricien militant d’un design conscient et attentif à son environnement. Son œuvre Design for the Real World: Human Ecology and Social Change le rend pionnier de l’éco-design. Un design écologique au sens large, qui ne ferait jamais l’économie du politique en vertu de la stylistique ; ou plutôt que séparer l’un de l’autre est insensé. Dans le présent texte, Papanek explore justement cette question : qu’est-ce que cela signifie, donner une intention et une forme ?

Traduction de Marguerite Davault
CP-1 Cube, prototype d’un environnement d’apprentissage pour enfants avec une paralysie cérébrale. 1968. Développé par les étudiants en desisn Barbro Kulvik-Siltavuori, Zoltan Popovic, Yrjö Sotamaa, and Jorma Vennola, sous la direction de Victor Papanek, Suomenlinna, Helsinki. © University of Applied Arts Vienna, Victor Papanek Foundation

The designer’s intent

I firmly believe that it is the intent of the designer as well as the intended use of the designed object that can yield spiritual value. The European word “form-giving” may express best what industrial designers do – always being careful to include the working of device in the form-giving and making sure that a degree of inventiveness is part of the design process. As we practice our art and skill, what we do moulds who we are and what we are becoming.

• When we become the hired guns of greed-driven corporations, we are driven to conform.

• If we generate status kitsch for jaded élite, and allow ourselves to become media celebrities, we perform.

• When we twist products to reflect navel-gazing of market research, we deform.

• If our products divorce appearance and the other functions – a telephone that looks like a duck and quacks instead of ringing, a clock-radio that looks like a female leg – we misinform.

• When our designs are succinct statements of purpose, easy to understand, use, maintain and repair, long-lasting, recyclable and benign to the environment, we inform.

• If we design with harmony and balance in mind, working for the good of the weaker members of our society, we reform.

• Being willing to face the consequences of our design interventions, and accepting our social and moral responsibilities, we give form.

All this can be done only if we learn to recognize the ethical dilemmas of our profession. This means thinking dispassionately about what we do. […] Our professional education is deeply divisive, almost schizoid. On the one hand we learn many aspect of high technology. […] On the other hand we are encouraged to think of ourselves as artists. […] It is tempting to think that form-givers – faced by this false choice between appearance and utility – answered: “neither!” The “statement” or “gesture” have replaced the object, and designers emerging from this bifurcated education tend to ask themselves: “how can I make it different?” Theoretically this might lead to an endless and lackadaisical repetition of stylistic mannerisms, varied by frequent sorties into the past. Into this zany mixture caused by misconceived education and social structure devoted to no higher aspiration than, “Take the money and run!” we now introduce the question of spiritual in design. […]

Will the design significantly aid the sustainability of the environment?

Can it make life easier for some group that has been marginalized by the society?

Can it ease pain?

Will it help those who are poor, disenfranchised or suffering?

Will it save energy or – better still – help to gain renewable energies?

Can it save irreplaceable resources?

A positive answer to these or similar questions does not make the design visibly spiritual. But the performance of such services to our fellow humans and the planet will help us inwardly. It will nourish our soul and help it to grow. That’s where spiritual values enter design.

Victor J. Papanek, Manuscrit Design for the Real World: Human Ecology and Social Change, 1971. Disponible en français aux Presses du réel ici.
Victor J. Papanek, « Function Unit X-3: Reading, Sleeping, Resting, Lounging » Design pour un fauteuil multifunctionnel, 1946–48. © University of Applied Arts Vienna, Victor J. Papanek Foundation

Victor J. Papanek, « Chaussure dans le style de geta surélevée que j’ai dessiné pour ma mère en 1948 ». Illustration dans Design for Human Scale, 1983. © University of Applied Arts Vienna, Victor Papanek Foundation

L’intention du designer

Je crois dur comme fer que c’est l’intention du créateur aussi bien que l’utilisation prévue de l’objet conçu qui peut générer une valeur spirituelle. Il se peut que le terme européen « form-giving » (façonner) puisse le mieux exprimer ce que font les designers industriels – toujours attentifs à inclure le travail du dispositif dans le « form-giving » (façonnage) et à s’assurer qu’un certain degré de créativité fait partie du processus de conception. Lorsque nous exerçons notre art et notre compétence, ce que nous faisons façonne qui nous sommes et ce que nous sommes en train de devenir.

• Quand nous devenons les mercenaires de sociétés appâtées par l’avidité, nous ne pouvons que nous conformer.

• Si nous produisons du kitsch pour une élite blasée et que nous nous autorisons à devenir des célébrités médiatiques, nous performons.

• Quand nous dénaturons des produits pour refléter le nombrilisme de l’étude de marché, nous déformons.

• Si nos produits séparent l’apparence des autres fonctions – un téléphone qui ressemble à un canard et qui caquète au lieu de sonner, un radioréveil qui ressemble à une jambe féminine – nous désinformons.

• Quand nos designs sont des déclarations d’intentions succinctes, faciles à comprendre, à utiliser, à entretenir et à réparer, de longue durée, recyclables et favorables à l’environnement, nous informons.

• Si nous concevons avec l’harmonie et l’équilibre à l’esprit, en travaillant pour le bien des membres les plus faibles de notre société, nous réformons.

• En acceptant de faire face aux conséquences de nos interventions de design et en acceptant nos responsabilités sociales et morales, nous donnons forme.

Tout cela peut être fait seulement si nous apprenons à reconnaître les dilemmes moraux de notre profession. Cela équivaut à penser à ce que nous faisons avec objectivité. […] Notre éducation professionnelle est profondément source de désunion, à la limite de la schizophrénie. D’une part nous apprenons de nombreux aspects de haute technologie. […] D’autre part nous sommes encouragés à nous considérer comme des artistes. […] Il est tentant de penser que les form-givers (les «  donneurs de forme  » , les créateurs) – face à ce faux choix entre l’apparence et la fonction – ont répondu : « ni l’un, ni l’autre ! ». La « déclaration » ou le « geste » ont remplacé l’objet et les designers nés de cet enseignement clivé ont tendance à se demander : « comment puis-je faire différemment ? ». Théoriquement cela pourrait mener à une répétition infinie et inconsistante d’affectations stylistiques, variées par de fréquentes incursions dans le passé.
Dans ce mélange loufoque causé par un enseignement mal conçu et une structure sociale consacrée à une aspiration pas plus haute que, « Prenez l’argent et courez ! », nous introduisons maintenant la question de la spiritualité dans le design. […]

Le design aidera-t-il significativement la durabilité de l’environnement ?

Peut-il rendre la vie plus facile pour des groupes qui ont été marginalisé par la société ?

Peut-il atténuer la douleur ?

Aidera-t-il ceux qui sont pauvres, privés de leurs droits ou dans la souffrance ?

Économisera-t-il l’énergie ou – encore mieux – aidera-t-il à gagner des énergies renouvelables ?

Peut-il sauver des ressources irremplaçables ?

Une réponse positive à ces questions, ou d’autres similaires, ne rend pas le design manifestement spirituel. Mais l’accomplissement de tels services à nos semblables et la planète nous aidera intérieurement. Il nourrira notre âme et l’aidera à grandir. C’est là que des valeurs spirituelles pénètrent le design.


PAPANEK, Victor. Toward the spiritual in design. In ROTH, Richard et KING ROTH, Susan. Beauty is nowhere, ethical issues in art and design. G+B arts international, 1998. Traduction par M. Davault