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Comment rafraîchir nos intérieurs à partir du climat : entretien avec Clément Gaillard 2/2
à la suite d’une présentation scientifique mais vulgarisée de l’architecture bioclimatique par CLÉMENT GAILLARD, nous avons échangé sur la possibilité d’adapter Ces préceptes à l’échelle d’un espace intérieur et déjà existant. Les divers freins à leurs mises en œuvre et notamment les problèmes de représentations que ceux-ci soulèvent, ont été le sujet de vifs échanges : Présentation d’un avis critique sur le sujet MAis aussi de solutions pratiques à déployer de toute urgence dans nos intérieurs.
Au cours de sa formation initiale en Design, réalisée à l’ENS Cachan et en double cursus à Vitry-sur-Seine en DSAA Alternatives Urbaines, Clément Gaillard fut sensibilisé à l’écologie ou à la notion d’anthropocène, notamment lors d’un projet à la ZAD de Notre Dame des Landes. Après l’agrégation en Design à l’ENS puis deux années de philosophie, le manque de connaissances ou de culture technique, ressenti de longue date, L’a incité à entamer un doctorat en urbanisme. La découverte de l’architecture bioclimatique à l’occasion de stages, d’expériences et de rencontres, l’a convaincu de rédiger une thèse sur ce sujet.
Est-ce qu’il existe, selon toi, des solutions héritées de la conception bioclimatique qui soient adaptables au bâti existant ?
Tout d’abord, les brasseurs d’air (les ventilateurs que l’on voit dans les séries américaines) sont à généraliser le plus possible dans les bâtiments, même si cela pose parfois des questions en termes de sécurité. Il ne faut pas que cela soit dangereux, que les enfants puissent mettre les doigts dedans or l’un des problèmes majeurs réside dans le fait que pendant très longtemps, on a construit des habitations basses de plafond. Ce qui peut être un frein à la démocratisation de ce dispositif.
En termes d’architecture intérieure, un choix réfléchi des matériaux en fonction de leurs caractéristiques pourrait permettre une évolution importante. Par exemple, on parle fréquemment du bois comme étant un matériau qui donne une sensation de chaleur. Au contraire, des matériaux qui vont être plus massifs, comme la pierre ou le béton, sont des matériaux qui vont garder correctement la fraîcheur et seront bénéfiques en d’autres zones. Appliqué à des mobiliers, le choix de matériaux massifs implique de prendre en compte que ceux-ci auront un poids bien plus conséquent, et qui dit mobiliers plus lourds, dit plus embêtants à déménager. Ce sont aussi des mobiliers qui peuvent être amenés à être posés sur une structure relativement légère, donc il faudra faire attention à ne pas trop charger celle-ci.
Quant aux systèmes des climatisations par évaporation dont nous avons précédemment parlé, pour l’avoir expérimenté, ils ne sont pas suffisamment performants pour être efficaces à l’échelle d’une pièce, c’est-à-dire pour rafraîchir suffisamment l’air de tout un espace. Ce système ne peut fonctionner qu’à une échelle extrêmement locale. D’ailleurs, tous les objets “design” qui appliquent ce principe de refroidissement par évaporation et que l’on trouve dans le commerce ne sont pas plus gros qu’un gros pot de fleurs. Il n’y a donc aucune chance pour que ceux-ci rafraîchissent tout un intérieur à la manière d’un climatiseur conventionnel.
Une des hypothèses à fort potentiel serait peut-être d’avoir recours aux plantes puisqu’elles ne sont rien de moins que l’un des meilleurs climatiseurs naturels. Même quand il fait 35 °C dehors, les feuilles d’une plante se maintiennent à environ 25 °C. Comment cela se fait-il ? Tout simplement, car une plante est un organisme qui évapore de l’eau continuellement. Il y a un véritable sujet à approfondir, à savoir est-ce qu’il est possible de se servir de plantes pour rafraîchir un intérieur. Mais le plus évident dans l’architecture intérieure, ça reste tout de même les systèmes de ventilation. D’ailleurs le ventilateur et même l’éventail sont de très bons outils pour se rafraîchir. Ce sont des objets qui consomment peu d’énergie, à déployer et à utiliser au maximum.
La protection et l’utilisation des vitrages est un autre sujet important dont il faudrait se saisir. Cela demande une observation de l’usage qu’il est fait de la fenêtre par les habitants. Il apparaît très clairement, qu’il y a encore aujourd’hui toute une pédagogie à faire auprès des habitants pour apprendre à réguler naturellement la température d’un bâtiment. Cela reviendrait à apprendre à se servir correctement de son bâtiment, à savoir à quel moment fermer ses volets ou quand ouvrir ses fenêtres, etc.
Ensuite, concernant les protections solaires en intérieur qui est l’une des solutions souvent appliquées en aménagement intérieur, cela n’est pas très efficace. Le problème étant que lorsqu’on met des rideaux en intérieur, cela chauffe tout de même entre le rideau et la fenêtre ce qui participe à réchauffer la pièce. Il est plus judicieux de parvenir à intercepter le rayonnement solaire à l’extérieur, cela évite de nombreux problèmes. Il faudra par contre, dans ce cas-là, veiller à ce que la protection solaire ne soit pas trop soumise aux intempéries ou à des vents violents.
Anecdotique ou non ? Tu racontes, à un moment dans ta thèse, que certains architectes en sont venus à critiquer les méthodes de l’architecture bioclimatique car “elles auraient eu pour effet de considérablement limiter l’expression personnelle de l’architecte”.
C’était une revendication assez anecdotique, cependant cela en disait long sur la place que s’accordait une grande partie des architectes. Mais au vu de l’enseignement des Beaux-Arts, promulgué jusqu’à la fin du 19ᵉ siècle, voire jusqu’au début du 20ᵉ siècle en France, cela est tout à fait caractéristique de la vision essentiellement esthétique qui y était transmise, notamment aux jeunes ou aux futurs architectes. Le fait qu’on puisse restreindre la créativité au nom du climat paraissait inacceptable pour certains architectes, qui y voyaient essentiellement des contraintes. Je crois que cette vision persiste aujourd’hui même si elle évolue. Il est clair que du point de vue climatique, de nombreux choix architecturaux sont absurdes, voire dangereux pour le confort des habitants à l’avenir. Concevoir avec le climat, c’est d’abord abandonner l’idée que l’on peut concevoir selon ses propres caprices ou ceux de son client.
Depuis l’avènement des technologies de l’information et de la communication, ce problème persiste, c’est celui des modes et des tendances qui sont déconnectées de la réalité du climat. Ainsi, avec internet, il est tout à fait possible pour un architecte comme un particulier, d’aller voir des images d’un bâtiment à l’autre bout du monde, pour envisager ensuite de le reproduire chez nous, quand bien même les conditions ou les ressources ne sont pas du tout les mêmes. C’est d’ailleurs aujourd’hui un sujet éminent, dans beaucoup de zones où il existe encore une architecture traditionnelle et vernaculaire. Ces zones se retrouvent de plus en plus perverties par l’effet de mode provoqué par la villa européenne classique. Celle-là même que l’on voit dans toutes les zones pavillonnaires, avec les colonnes en béton, la piscine et l’enduit rose saumon. C’est un idéal qui gouverne sans doute aussi les États-Unis et qui s’installe dans beaucoup de pays.
“ Tout ce qui se véhicule, c’est-à-dire les idées ou les images, m’apparaît comme un phénomène qui doit quelque peu être critiqué voire même contré parfois. ”
A contrario, on voit bien que faire une maison en terre est considéré comme quelque chose de pauvre et de misérable, tout comme bâtir une maison relativement petite l’est aussi. Dans de plus en plus de pays, la norme, le conventionnel, c’est de faire des maisons en béton parce que c’est perçu comme plus solide alors même que ces pays avaient parfois une riche tradition de construction avec d’autres matériaux. Il faut arriver à lutter contre cela. Il faut percevoir toute l’idéologie qu’il y a derrière le bâtiment, ce que cela véhicule comme images. Le principal problème réside là.
La communication et les effets de mode sont des problèmes, mais ils peuvent aussi induire des changements de pratiques. On peut prendre l’exemple du camping qui s’est démocratisé avec le développement de nouveaux produits comme la tente « 2 secondes » de Decathlon. Du point de vue bioclimatique, le camping est une activité très inconfortable : parfois on a chaud dès 8 h du matin, d’autres fois très froid, ou bien on se retrouve sous la pluie, etc. Pourtant, on continue de le pratiquer. D’une certaine manière, on arrive à surmonter cet inconfort parce que le camping permet de se réunir en famille, de visiter de nouveaux lieux ou de se retrouver entre amis. Cela montre bien qu’on peut faire des concessions sur son confort, tant qu’il y a d’autres choses à côté qui nous intéressent. On peut supporter l’inconfort de sa tente car on profite de moments de convivialité. J’ai le sentiment que le camping montre qu’il est possible de rendre acceptable voire désirable une forme d’inconfort.
“ Peut-être qu’il pourrait exister une forme de marketing pour promouvoir la sobriété ou le changement de certaines pratiques. ”
Le camping c’est surtout un bon moyen d’apprécier le climat local.
Ça c’est sûr, le camping il n’y a pas mieux !
Selon toi, quels ont été ou quels sont encore aujourd’hui, les freins au développement de dispositifs passifs de climatisation ?
Il y a un frein économique évident, cela coûtera toujours moins cher de climatiser de manière conventionnelle. En général, les commandes demandent avant tout de faire vite tout en étant bon marché ; climatiser reste le plus simple dans ce type de cas. Pour un bureau d’études ou pour un architecte, imaginer de la ventilation naturelle est contraignant, cela prend de la place, il y aura plus de coûts d’études donc c’est globalement plus de travail. Légalement, il existe aussi encore des freins concernant la ventilation naturelle, par exemple certaines contraintes incendies.
Cependant, les freins sont aussi au niveau des mentalités. C’est-à-dire, en termes de confort, beaucoup de personnes préfèrent encore climatiser. En règle générale, les habitants recherchent la simplicité, même ceux qui sont concernés par ces sujets d’énergie ou qui ont un certain niveau de conscience écologique. Dans le cas d’un système naturel de ventilation, il faut pouvoir ouvrir certaines ouvertures au bon moment et les fermer à d’autres. Bien sûr, on peut aujourd’hui automatiser ces procédés car cela revient peu cher d’automatiser, mais il faut faire attention à l’impact environnemental de l’ensemble des composants domotiques. Il faut savoir automatiser à bon escient. Le problème réside donc avant tout dans ce que les personnes sont prêtes à faire en termes d’efforts, de compromis sur leur confort. C’est là le vrai sujet même s’il y a aussi dans une certaine mesure une histoire de prestige : c’est prestigieux d’avoir la clim, c’est un élément de représentation sociale.
En contrepartie, la réglementation évolue, pour une fois, dans le bon sens. Par exemple, la nouvelle réglementation environnementale, la RE2020 impose de mettre des brasseurs d’air dans les bâtiments neufs -qui sont les ventilateurs que l’on voit dans les séries américaines- plutôt que des climatisateurs classiques dans les climats méditerranéens. Malgré la prise en compte tardive via la réglementation du problème de l’inconfort thermique en été, c’est une bonne nouvelle.
De plus, en termes de protection solaire il y aurait par exemple, tout un vocabulaire architectural à développer qui pourrait être assez riche. Il y existe en effet, plein de manières de faire des protections solaires. Ça peut prendre des formes différentes, mais ce n’est souvent pas ce à quoi on pense le plus car ça reste des surcoûts. L’entretien aussi est un sujet puisque quand il y a des éléments à entretenir cela est contraignant. Par exemple, il y a beaucoup de choses qui se font en ce moment sur l’albédo, en peignant les toitures ou les rues avec des peintures très claires. On prend continuellement comme exemple les villes blanches de Grèce ou des zones méditerranéennes, or, ce qui est peu connu, est que ces enduits sont repris périodiquement tous les uns ou deux ans au cours d’une fête dédiée. Il y a donc un véritable sujet sur la question de l’entretien car, assez vite un enduit blanc va s’assombrir légèrement et il faudra le refaire, et cela, de manière régulière.
“ Comme dans tout acte qui relève de l’écologie aujourd’hui, la question est : comment sommes-nous prêts à nous impliquer ? ”
Il faut réussir à jongler avec les besoins de confort des habitants, entre des personnes qui n’en ont strictement rien à faire et d’autres qui se sentent très concernées. Il faut arriver à équilibrer la chose. C’est d’ailleurs pareil pour le chauffage, certains sont prêts à mettre quatre pulls et à rester à 16 °C chez eux tout l’hiver, alors que d’autres personnes vont vouloir être en caleçon dans leur habitation et donc chauffer à 25 °C. Mais à mon sens tous ces problèmes sont stimulants. Notre époque amène de nouveaux défis d’ordre climatique qui me semblent passionnants.