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Transformer l’espace pour transformer l’école : Entretien avec Edwige Coureau-Falquerho
Agathe Molho, Barbara Fonteneau et Léa Blasini, étudiantes de l’école Camondo, évoquent avec Edwige Coureau-Falquerho les évolutions émergentes des espaces d’apprentissage suite à la pandémie de Covid-19, ainsi que les enjeux futurs liés à ces évolutions. Elles échangent sur l’apparition ces dernières années d’espaces d’apprentissage innovants dans les établissements scolaires, tels que les tiers-lieux, les FabLab, l’école dehors ; mais aussi sur l’évolution des espaces qui nous sont plus habituels comme les CDI, qui pourront être, demain, de nouvelles salles de classe.
Edwige Coureau-Falquerho est chargée de veille et de projets au sein de l’Institut Français de l’Éducation, à l’École Normale Supérieure de Lyon. Elle travaille sur la thématique du numérique et des espaces d’apprentissage dans le champ scolaire, notamment au sein de la cellule BEA -Bâti et Espace d’Apprentissage en partenariat avec le rectorat de Lyon. Elle nous accorde un entretien sur les nouveaux espaces d’apprentissage.
Pour vous qui êtes au cœur de cette actualité, à quoi ressembleraient les nouveaux lieux d’apprentissage et quels sont les enjeux de demain suite à la pandémie du Covid-19 ?
Les nouveaux espaces d’apprentissage1 seraient tout d’abord des salles de classe qui ressembleraient moins à ce que l’on connaît aujourd’hui, c’est à dire à la salle de classe traditionnelle avec des tables et des chaises alignées, des élèves assis en rang face à un professeur qui est devant un tableau et parfois même encore sur une estrade.
Elles seront avant tout plus flexibles, dans lesquelles on pourra varier les configurations spatiales, avoir plus de mobilité du côté des élèves comme des enseignants. Le tout au service d’une diversification des activités, des méthodes pédagogiques mais aussi des postures ; c’est à dire des élèves qui pourront être davantage dans des formes de travail soit individuel, soit en petit groupe mais aussi en grand groupe avec un enseignant qui sera sans doute plus dans une posture d’accompagnant que d’enseignant dominant par rapport aux élèves.
Ce seront aussi des tiers-lieux tel que les cafétérias, des espaces aménagés dans les circulations ou les halls, des espaces spécifiques comme les fablabs ou encore des espaces aménagés au sein des bibliothèques. Ces espaces pourront servir à faire de l’enseignement mais aussi à apprendre dans différentes postures, dans des configurations différentes de celles que l’on connait, avec des élèves peut être plus autonomes, avec divers types d’équipements dédiés à la créativité et à la collaboration. Ils pourront aussi être utilisés pour concrétiser des partenariats avec des acteurs extérieurs à l’établissement ou encore pour travailler en mode projet sur une période donnée.
La question du numérique s’invite souvent dans ces nouveaux espaces d’apprentissage, qui doivent être en capacité de mieux intégrer et interagir avec les espaces virtuels. Ils doivent par exemple être configurés et équipés pour pouvoir faire de la visioconférence, ou faciliter des usages numériques de plus en plus nomades avec les smartphones, les tablettes ou bien encore les ordinateurs portables.
Les nouveaux espaces d’apprentissage ont vocation à se développer à l’image des salles « laboratoire », dédiées à l’expérimentation pédagogique, ainsi qu’à des activités créatives et collaboratives : fablabs, médialabs, learninglabs… Par « nouveaux espaces d’apprentissage », on entend aussi souvent les CDI qui demain ressembleront moins à des bibliothèques scolaires et plus à de véritables centres de ressources physiques et numériques, conçus comme des lieux ouverts et rayonnants dans l’établissement. Si nous devions résumer en une phrase, je dirais que ces nouveaux lieux repensés et réaménagés doivent faire en sorte que tous les espaces, pour ainsi dire tous les « recoins » d’un établissement scolaire, deviennent des lieux d’apprentissage, afin que l’éducation ne soit plus cloisonnée dans les salles de classe mais que tout l’établissement scolaire soit un lieu d’apprentissage.
Avez-vous des études ou des expériences qui pourraient étayer votre propos ?
Les pays anglo-saxons travaillent depuis une dizaine d’années sur cette question : « En quoi transformer spatialement les salles de classe impacte les apprentissages des élèves ? » Qu’est-ce que que cela change dans la relation enseignants-élèves ? Qu’est-ce que cela change dans le contrat didactique, c’est à dire dans la relation entre l’enseignant, l’élève et le savoir ? C’est un courant de recherche qui est encore peu développé en France. À l’Institut Français de l’Éducation, au sein de l’ENS de Lyon, nous développons des activités de formation, de suivi d’expérimentation et de médiation scientifique sur ces sujets. Nous accompagnons par exemple depuis 2019 un projet de recherche intitulé ÉLiAN. C’est une démarche de recherche collaborative entre un chercheur, Laurent Jeannin, et des équipes enseignantes. Il porte sur la question centrale : « Qu’est-ce qu’il se passe lorsqu’on transforme spatialement une salle de classe ? ». Si on utilise un mobilier nomade, on peut faire travailler les élèves dans des configurations parfois frontales, parfois dispersées ; on alterne alors différentes configurations pédagogiques.
Qu’est ce que cela change dans le climat de la classe ou plus largement de l’établissement scolaire ?
Nous travaillons avec plusieurs collectivités de la région lyonnaise, qui sont en train de préparer la construction de nouveaux collèges et de lycées ; qui se veulent justement innovants ou différents dans la conception des espaces et des aménagements. Ce sont des projets à long terme, qui sortiront de terre dans les années qui viennent, sous deux à cinq ans. Avec ces mêmes collectivités nous travaillons également sur des projets de transformation d’espaces ou de pôles fonctionnels dans des établissements. Certains ont déjà été ou vont être réalisés dans les mois qui viennent, et visent à transformer une salle de classe, un foyer des élèves, un CDI, un espace de restauration, les extérieurs pour en faire des lieux plus favorables et incitatifs aux apprentissages.
Quels sont les changements sur la façon d’enseigner depuis le Covid-19 ? Faire classe dehors pourrait-il être une réponse à cette problématique ? Ou doit-on repenser nos espaces actuels ?
Nous n’avons pas suffisamment de recul pour affirmer des choses définitives, même si sont parus rapidement tout au long de la pandémie de premières enquêtes, des réflexions ou des témoignages individuels. Nous n’avons pas de réponses stabilisées, mais il y a des questionnements qui ont émergé et qui sont aujourd’hui partagés par une grande partie des enseignants et du personnel de direction, autour de l’impact du numérique « à marche forcée » sur les temps et espaces d’apprentissage. Cette irruption brutale de l’enseignement à distance était de la science-fiction en 2019. Cela n’existait pas dans le cadre de l’enseignement primaire et secondaire ; et aujourd’hui cela existe avec plus ou moins de bonheur.
L’usage du numérique a déjà beaucoup évolué dans le corps enseignant. Avant ce n’était qu’une frange d’enseignants qui étaient en recherche d’innovation, qui s’intéressaient à ce qu’on pouvait faire avec le numérique pour la pédagogie et au service des apprentissages. Or aujourd’hui, il y a une grande majorité d’enseignants qui a été amenée à s’interroger, à intégrer dans sa réflexion la pratique des usages numériques. Lorsqu’il est question des espaces d’apprentissage, la pandémie a amené, forcément, un début de questionnement sur ces salles de classe classiques que l’on connait tous.
Depuis la rentrée scolaire [2020-2021, NDLR], pour les collèges et les lycées, les salles sont fixes, les élèves ne changent plus de classe toutes les heures mais ce sont les enseignants qui se déplacent et cela change beaucoup les habitudes. Les enseignants sont censés rester près du tableau, le plus loin possible des élèves, avec un masque, et les élèves sont censés rester à leur table, ne plus changer de place d’une heure sur l’autre et ne plus avoir aucune mobilité pour éviter les circulations et les contaminations. Finalement, une réflexion est amenée sur le fait que cela crée beaucoup de contraintes sur le plan pédagogique. Cela met en lumière que le fait de pouvoir bouger pour travailler autrement qu’avec des chaises et des tables fixes, dans un espace statique et immobile, est préférable.
Nous n’avons pas encore beaucoup de retours de la part du corps enseignant et de l’institution, mais de fait, cela amène ou amènera une réflexion lorsqu’on pourra sortir de ces protocoles très contraignants sur : « qu’est-ce qu’on garde de tout ça ? ». Comment remettre de la mobilité, ou comment réinterroger la salle de classe maintenant qu’on a vu le degré zéro où plus personne ne bouge, où l’on est « scotché » à une table et à une chaise et où les élèves n’ont plus le droit d’aller au tableau ?
La pandémie de Covid-19 a-t-elle accéléré la prise de conscience du corps professoral et des parents d’élèves sur le fait que l’on peut faire classe autrement ?
En effet, le fait de faire cours à distance, de voir tout ce que l’on peut faire avec des outils numériques ou bien encore de faire des classes virtuelles, était impensable avant cette pandémie. Maintenant cela fonctionne relativement bien même si tous les professeurs ne s’y sont pas mis. Et cela interroge beaucoup la forme scolaire conventionnelle. Le fait que les parents aient été mobilisés et sollicités pour aider à faire classe, qu’ils aient dû beaucoup plus s’investir pour aider leurs enfants à faire leur travail scolaire, comprendre ce que veulent les enseignants, rentrer dans le fonctionnement et dans la relation entre les élèves et les enseignants, c’est quelque chose de très nouveau.
En ce qui concerne la question de « faire classe dehors », si nous regardons l’école en France, nous avons une forme scolaire où l’ont fait classe à l’intérieur à l’exception des professeurs d’éducation physique qui vont plus faire classe dehors ou dans des gymnases. Dans la conception traditionnelle des établissements scolaires, les espaces extérieurs sont récréatifs et ludiques. Ils ont très peu, jusqu’à maintenant, des fonctions d’apprentissage. Effectivement faire classe dehors peut être une réponse, mais cela pose beaucoup de questions techniques ou de confort d’enseignement : si on a du soleil dans les yeux, ou bien qu’un chantier se trouve à côté et qu’il fait du bruit, si les élèves ne peuvent pas s’asseoir au sol car la terre est humide, s’il n’y pas de connexion électrique ou internet, etc…
L’idée de s’asseoir sous un arbre et de faire cours est sympathique, mais on ne peut pas faire autant d’activités qu’en classe si on ne possède pas de supports pour poser ses cahiers, des prises pour charger des appareils. Cela peut faire partie des évolutions à venir, il y a plein d’avantages à aller au contact de la nature, à amener les élèves ailleurs et à leur faire prendre conscience que l’on peut apprendre autrement que dans une classe avec un professeur. Les enseignants le disent : « L’idée est jolie, mais après concrètement et techniquement faire classe à 25 ou 30 élèves assis sur l’herbe ce n’est pas forcément simple. »
Le bien-être à l’école et la transformation des espaces d’apprentissage pourraient-ils régler, ou du moins diminuer, les inégalités ?
La question des inégalités sociales et scolaires est une question complexe et même des écoles connectées, très accueillantes, très bien aménagées, ne suffiront pas à résoudre ces questions qui ne relèvent pas seulement de l’école. Le postulat est que si l’école est plus accueillante, plus adaptée à ses usagers – élèves, enseignants et autres personnels – et qu’elle propose de meilleures conditions de travail et d’apprentissage, cela contribuera à résoudre les inégalités et à faire en sorte qu’il y ait plus de réussite et d’intégration pour tout le monde. Concrètement, nous parlons des élèves qui aujourd’hui ne se sentent pas bien à l’école, pour plein de raisons ; par exemple, leurs origines sociales, socio-culturelles, socio-économiques ; ou qui n’ont pas d’affinités, qui ne se sentent pas à l’aise dans l’école, dans ses codes et ceux du système éducatif. Si l’école est plus accueillante, des élèves qui n’ont pas forcément envie de poursuivre des études et d’aller à l’école, auront, et c’est le pari qui est fait, un peu plus envie d’y aller, d’y rester et d’apprendre des choses avec leurs camarades et leurs enseignants.
Avez-vous un projet à venir, à partager avec nous, qui vous tiendrait particulièrement à cœur au sujet des nouveaux lieux d’apprentissages ?
Un projet qui me tient à cœur et surtout qui suscite ma curiosité et ma motivation au travail : c’est un lycée qui va ouvrir à la rentrée prochaine à Lyon2. Il se situe juste en face du musée des Confluences, et a été conçu comme un lycée numérique et innovant. C’est un projet sur lequel nous travaillons depuis trois ans maintenant. Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes a au début du projet de construction sollicité une équipe d’experts de la pédagogie, de la recherche et de la formation des enseignants pour les aider à concevoir ce « lycée du futur » qui devait être construit rapidement pour répondre à une augmentation d’effectif sur le secteur. Il y avait en parallèle une volonté politique forte d’innover et on nous a donné quasiment carte blanche pour imaginer le lycée de demain avec des usages numériques aisés, facilités et donc généralisés au service des apprentissages et des conditions de travail dans l’établissement.
En travaillant avec le programmiste, qui traduisait nos idées pour les architectes, nous avons essayé de concilier tous les éléments de prospective sur les évolutions pédagogiques, sociales, architecturales, technologiques. Nous avons imaginé comment tout cela pourrait se retrouver dans un lycée pour proposer des espaces transformés, un climat et un état d’esprit favorables aux apprentissages, des espaces et des aménagements qui donnent envie d’être au lycée et d’y passer du temps. Nous avons fait un certain nombre de préconisations, un grand nombre d’entre elles ont été retenues et intégrées au programme de construction et d’équipement. Le lycée est en cours de construction, il sera achevé d’ici cet été et ouvrira ses portes à la rentrée 2021.
Nous sommes très enthousiastes à l’idée d’assister à l’ouverture et au démarrage de cet établissement, mais surtout de le suivre du point de vue de la recherche, de la formation des enseignants, de voir ce que cela va générer et si les hypothèses que l’on a faites se trouvent ou non confirmées. Nous pourrons étudier en quoi de nouveaux espaces vont aider et soutenir les apprentissages, favoriser un climat scolaire positif et contribuer à la réussite scolaire. Nous pourrons également constater si cela produit des résultats positifs, d’abord pour les élèves, mais aussi pour tout le personnel qui travaille dans un établissement scolaire. C’est le projet emblématique de toute la réflexion que mène la cellule Bâti et Espaces d’Apprentissage de l’académie de Lyon, de toutes les expertises que nous essayons d’apporter aux maîtres d’ouvrage et aux maîtres d’œuvre, dans une approche systémique des besoins et des « modes d’habiter » des établissements scolaires. Nous pourrons ainsi observer ce que cela va produire sur les années qui viennent.
Pour finir, comment définiriez-vous l’école de demain ?
L’école de demain est une école où il y aura plus de porosité entre le lieu central d’apprentissage qu’est la salle de classe et tous les autres espaces. C’est une école où tous les lieux inciteront, permettront et favoriseront l’apprentissage soit dans des formats traditionnels – où l’enseignant fait cours -, soit dans des formats de collaboration, de conduite de projet, d’entraide entre élèves, de partenariats avec des intervenants extérieurs (professionnels, experts, chercheurs, parents d’élèves, associations). Ce sera une école plus ouverte à la fois dans ses espaces mais aussi dans son fonctionnement, dans ses liens avec le monde extérieur et avec toutes les ressources éducatives et intellectuelles qu’il peut y avoir à l’extérieur de l’école.
Ce sera aussi une école connectée. Aujourd’hui, une majorité d’établissements scolaires n’ont pas le wifi, pas beaucoup d’équipements, de terminaux et d’infrastructures numériques. Ils ne permettent donc pas des usages fluides du numérique pédagogique par tous les élèves et à toute heure de la journée. L’école de demain, ce sera évidemment une école connectée avec nécessairement des modalités adaptées et des régulations. Car il ne s’agit pas ici de dire que le numérique va tout résoudre et avoir un effet miracle…
Ce sera également une école plus collaborative avec des relations plus horizontales au savoir, aux enseignants, entre élèves, plus d’entraide, plus de co-éducation et de co-apprentissage. Ce sera également une école plus accueillante. Aujourd’hui, beaucoup d’écoles ne sont pas très modernes, pas très confortables, dans lesquelles on n’a pas forcément envie de rester en dehors des heures de cours. L’école de demain est vue comme un campus de lieux modernes, agréables, qui répondent aux besoins physiologiques des enfants comme des adultes ; et qui donnent envie de rester, d’apprendre et d’être là ensemble.
Enfin, l’école de demain est une école où il y a plus de bien-être et de confort. On parle de qualité de vie au travail, mais cela vaut également en milieu scolaire. Donc une école qui doit être plus attentive au bien-être à la fois physique et psychologique des usagers pour qu’ils soient mieux disposés à apprendre. Non pas que cela résolve tous les problèmes et fasse réussir tout le monde à l’école ; mais que cela vienne apporter des prérequis et un soutien aux différents apprentissages académiques et citoyens.
1 Edwige Coureau-Falquerho : « Lorsque nous employons le terme « espaces [d’apprentissage] », nous renvoyons à la fois à des espaces physiques identifiés et à des espaces virtuels ou hybrides. L’usage de ce terme installe une double filiation scientifique. D’un côté, le travail anglo-saxon et australien sur les questions de bâti scolaire et de numérique (learning spaces). D’un autre côté, le travail de Laurent Jeannin en France, qui développe le concept d’espaces personnels d’apprentissage (EPA). A l’inverse, le terme « lieux » nous semble trop connoté, comme lieu physique et localisé, ce qui nous semble restrictif. »
2 Le lycée Docteur Charles Mérieux a effectivement ouvert en septembre 2021 et accueille pour cette première année environ 400 élèves de seconde et de première. Un accompagnement de l’équipe pédagogique est mis en place pour l’appropriation des espaces innovants et la construction du projet d’établissement, en collaboration avec des chercheurs. NDLR.